Retrocomputing : retour vers le futur de l'informatique

Retrocomputing : retour vers le futur de l’informatique

Christophe C. est ingénieur système embarqué. Au cours des 25 dernières années, il a travaillé pour des acteurs majeurs de la technopole de Sophia Antipolis, avant de rejoindre ELSYS Design en fin d’année dernière.

Christophe partage avec nous sa passion pour le retrocomputing. De la restauration des anciennes machines à l’avenir incertain de cette communauté, nous découvrons les motivations, les défis et les espoirs qui l’habitent, notamment son projet de musée à Sophia Antipolis.

Q : Peux-tu nous expliquer ce qu’est le retrocomputing ?
Le rétrocomputing englobe les machines de l’ère pré-PC jusqu’à environ 1995, marquées par une diversité d’architectures, de logiciels et de systèmes d’exploitation.

Il s’étend des années 70 à la fin des années 80, caractérisé par une variété d’ordinateurs domestiques et professionnels.

Le passage au Pentium d’Intel symbolise le déclin, avec la standardisation et la perte d’originalité.

Chacune de ces machines a une âme, elles m’ont toutes plus ou moins fait rêver et je ne supporte pas de les voir partir à la benne.

Des personnes arrivent au retrocomputing via le retrogaming. Ce n’est pas le sens de ma démarche, puisque mon intérêt se concentre sur l’aspect matériel, l’architecture, le système d’exploitation et l’histoire de ces machines. Je ne suis pas un joueur.

 

Q : Comment est née ta passion pour le retrocomputing ?
Régulièrement, je voyais de vieilles machines sur eBay. À l’époque, je me débarrassais moi-même de vieux ordinateurs, pensant qu’ils étaient trop récents pour être classiques, mais pas assez anciens pour être précieux.

Des années plus tard, j’ai regretté ces décisions car retrouver ces machines était difficile, voire impossible.

Un jour, j’ai décidé de sauter le pas en achetant un Apple II sur Leboncoin, suivi d’un Amstrad.

Un ami m’a dit que posséder deux machines signifiait commencer une collection, que ce n’était que le début pour moi. C’était il y a dix ans et il avait parfaitement raison !

Avec eBay et Leboncoin, j’ai réussi à acquérir une soixantaine de machines, qu’il s’agisse d’ordinateurs domestiques ou professionnels, en provenance de France, des États-Unis et d’Angleterre. Des IBM 5150, des premiers ordinateurs portables de Compaq, des RS, des Goupil etc.

Paradoxalement, plus j’avance, et plus je recule dans le passé. Les machines qui m’intéressent aujourd’hui sont très rares en France.

Retrocomputing : Apple II

 

Q : Que fais-tu après avoir récupéré ces vieilles machines ?

Mon objectif principal est de les restaurer pour les remettre en état de fonctionnement, en préservant autant que possible leur configuration d’origine, sans recourir à du matériel moderne.

En plus des machines, je conserve précieusement un stock de 400 à 500 disquettes d’origine encore scellées.

Mon ambition est de remonter jusqu’aux machines des années 70, programmables avec de petits interrupteurs et un démarrage sur des rubans perforés, afin de préserver l’histoire de l’informatique.

Je suis également en contact avec d’autres passionnés, comme Christophe N., un ancien d’ELSYS Design, pour créer un musée du retrocomputing dans la région de Sophia Antipolis. Nous voulons présenter l’évolution et la diversité des machines, puis susciter des vocations par l’intermédiaire d’ateliers de programmation en assembleur. Etablir ainsi un lien entre le passé et le présent.

 

Q : Qu’est-ce qui te plaît dans le retrocomputing ? S’agit-il d’une forme de nostalgie ?

Oui, c’est exactement cela, c’est comme une madeleine de Proust.

Même la documentation a une grande valeur pour moi : lorsque j’ai récupéré des PC, comme le premier IBM PC, avec tous les manuels et documents commerciaux annotés par le précédent propriétaire au moment de passer commande, c’est un véritable témoignage du passé, très émouvant.

Ce qui me fascine, ce n’est pas seulement la machine en elle-même, mais ce qu’elle représente, les défis relevés par les équipes d’ingénierie et le mode de vie de l’époque.

Par exemple, le premier tableur d’Apple, véritable précurseur.

Chaque machine avait sa personnalité, et des petites caractéristiques uniques qui la rendaient spéciale, comme les ordinateurs Exelvision, conçus à Sophia. Ces machines qui suscitaient l’admiration, et leur histoire, ainsi que celle de leurs créateurs, m’inspirent énormément.

Retrocomputing : Amstrad

 

Q : Quelles sont les principales différences entre les machines anciennes et modernes ?

L’écart est immense, il s’agit de deux mondes distincts.

Avec les anciennes machines, comme celles utilisant CP/M, un système d’exploitation créé en 1974, le niveau de complexité était bien moindre. On pouvait comprendre et développer seul des éléments tels que les boot loaders ou les drivers.

Aujourd’hui chaque élément d’un ordinateur, périphérique ou logiciel, atteint un tel niveau de complexité et de fonctionnalité, qu’il est quasi impossible pour une entreprise d’avoir à elle seule la maitrise de tous les sous-ensembles.

C’est là la différence marquante entre les machines anciennes et actuelles.

 

Q : Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite se lancer dans le retrocomputing ?

Pour débuter dans le retrocomputing, je conseille de commencer par des machines fonctionnelles. Idéalement, j’essaie d’en avoir trois exemplaires : une opérationnelle, une en stock et une pour les pièces de rechange.

Pour ceux qui veulent explorer cette passion, je recommande de choisir une machine bien documentée et largement présente à l’époque, facilitant ainsi la compréhension du matériel et du logiciel.

Le plus difficile est de trouver des composants spécifiques de l’époque, ce qui peut demander du temps et de l’investissement financier.

En résumé, se concentrer sur un projet concret, bien documenté, pour en tirer le maximum de plaisir.

D’ailleurs, nous avons monté un groupe consacré au retrocomputing au SHL, nous avons prévu d’organiser prochainement des soirées avec quelques machines qu’on va étudier, restaurer etc. Cela peut constituer un bon point de départ.

 

Q : Comment vois-tu l’avenir du retrocomputing ?

Il s’agit de la question qu’on se pose tous dans notre communauté. Certains jeunes s’y intéressent par nostalgie eux aussi, mais leur intérêt risque de diminuer à mesure que les générations avanceront ; la rareté croissante des machines en bon état n’arrange pas la situation.

Il est urgent de centraliser les collections pour éviter leur dispersion ou leur abandon. Ma crainte est que des collections précieuses finissent oubliées ou jetées. Nous avons besoin de musées et d’initiatives pour préserver ce patrimoine.

Un musée de l’informatique à Sophia serait une idée pertinente pour maintenir la flamme.

 

Christophe, passionné de retrocomputing